Chronique de l’année 1987
Après le succès des singles Quand tu pars et La Nuit (extraits de son troisième album Écris ta vie sur moi), ainsi que de sa tournée et de son passage à l’Olympia en octobre 1986, Rose Laurens est de retour au printemps 1987 avec un titre inédit, Où vont tous ceux qu’on aime.
« Il y a eu plusieurs morts de gens qu’on aimait beaucoup dans notre entourage. Jean-Pierre a fait cette musique et le texte m’est venu naturellement. En rendant hommage à ces personnes-là », expliquera la chanteuse. En effet, Jean-Pierre Goussaud a perdu sa mère quelques mois auparavant et Rose est dévastée par la disparition de Joël, son fidèle ami attaché de presse chez Flarenasch, en début d’année. C’est donc le cœur serré qu’avec son auteur fétiche Marc Strawzynski, elle écrit le texte d’Où vont tous ceux qu’on aime. Une question douloureuse qu’elle se pose alors : y a-t-il un ailleurs pour ces êtres aimés et trop tôt disparus ?

« Où vont tous ceux qu’on aime »
La musique composée par Jean-Pierre est évidemment mélancolique, mais également mystérieuse, avec ces nappes de synthés à l’ambiance mystique. Comme toujours avec le compositeur les maquettes sont très abouties, la structure et l’âme de la chanson sont déjà là à leur écoute (on en trouve deux dans la réédition du coffret Collection volume 1 en 2021). La différence majeure entre les deux maquettes étant la présence plus ou moins appuyée des accords de synthé, plus liés sur la première (qui compte aussi un refrain supplémentaire) et plus détachés sur la seconde.
Mais afin de peaufiner le morceau, c’est une nouvelle équipe de musiciens, pour le moins inattendue, qui va faire son apparition sur ce disque enregistré au studio 13 Power Nation (en fait le home studio de Jean-Pierre, qui habite avec Rose à Nation) et mixé entre le 26 et le 31 mars au studio Marcadet à Paris. « Un jour Renaud Hantson nous appelle en nous disant : « J’ai vu Rose Laurens en télé, sur scène et je veux travailler avec vous. J’ai même des copains guitaristes et on veut être la nouvelle équipe de musiciens de Rose. » Ils ont tellement insisté que l’on s’est retrouvé à faire plusieurs concerts avec eux. » Des concerts mais aussi ce disque, sur lequel on retrouve effectivement Renaud Hantson à la batterie, Frantz Fagot à la guitare, Serge Cortin à la basse, et un habitué des concerts de Rose : Sylvain Pauchard (de Martin Circus) à l’orgue et aux cuivres.
L’apport des musiciens à la réussite de la chanson est indéniable : la présence de la guitare électrique dès l’intro, la batterie qui remplace la boîte à rythmes, et puis ce final en apothéose où chœurs (on y reconnaît Jean-Pierre Goussaud), cuivres et interprétation habitée de la chanteuse s’entremêlent.


Le 45 tours sort chez Flarenasch, distribué par WEA, avec une photo très glamour signée Tony Frank. Un maxi 45 tours est également pressé pour la promotion, illustré de la même photo mais cette fois-ci en noir et blanc. Il ne contient qu’un titre : la version longue de la chanson. Il s’agit en fait de sa version complète d’une durée de 4 mn 28 avec une fin « nette », la version proposée sur le 45 tours étant plus courte d’une quinzaine de secondes avec une fin en fondu.
Un remix sera également réalisé, mais on ne le découvrira que bien plus tard, exhumé récemment et proposé dans le coffret Collection volume 2 en 2021. D’une durée égale à la version longue, la guitare introductive y a été retirée, la batterie y est nettement plus présente, la reprise du refrain avec le chœur se fait a cappella avec simplement la batterie puis enchaîne sur une partie purement instrumentale avec un solo d’orgue inédit. Une version étonnante et plus « musicale » en somme. En 2022, une autre version inédite fait surface sur la compilation Best of. Se situant entre la version longue et le remix, on note qu’une partie du refrain a été retirée par endroits (« Dans quelle vie, Loin d’ici… »), de l’écho a été rajouté sur la voix, l’orgue est moins présent à l’arrivée des chœurs qui finissent par disparaître pour laisser place aux vocalises de la chanteuse. Précisons enfin que lors de la promotion télé, la version que Rose présente n’est pas la version 45 tours mais la version longue amputée d’un refrain.
Le 45 tours sera également distribué au Canada et une version anglaise, dont Rose signe le texte intitulé Without You, sera enregistrée mais reste, à ce jour, inédite.


En mai et juin, Rose donne des concerts (dont une date à Drancy où elle interprète son nouveau titre, ainsi que l’inédit J’ai pas peur de toi qu’elle chantait déjà l’année précédente à l’Olympia) avant de s’accorder quelques vacances à Hammamet durant l’été avec Jean-Pierre. Du 3 au 7 juillet, ils sont à New York où Rose a l’occasion de rendre visite à ses cousins, mais surtout de donner un concert au Saint (la boîte branchée du moment) où elle n’en revient pas d’avoir été invitée et où elle reçoit un accueil plus qu’enthousiaste !
La promo d’Où vont tous ceux qu’on aime démarre à l’été sur M6 dans l’émission Chansons d’amour, chansons toujours présentée par Mady Tran qui rencontre Rose Place des Vosges à Paris, endroit que la chanteuse affectionne. Gracieuse et spontanée, elle y arbore un grand chapeau noir qui la ravit. Le tournage d’un clip est envisagé mais ne se fera malheureusement pas.


Puis le 27 août la promo reprend, notamment avec un 40° à l’ombre en direct de Cannes où l’on apprend qu’un nouvel album est en préparation, avec un son différent, plus rock, qui devrait sortir en octobre. Le 20 septembre elle est dans Le Monde est à vous de Jacques Martin dont l’invité principal est Yves Duteil avec qui elle chante en duo la chanson Mélancolie. Le 1er octobre, invitée de Domicile A2 où elle chante trois chansons, elle rate son playback à cause d’un mauvais retour, ce qui la fera beaucoup rire a posteriori. Elle annonce cette fois une sortie d’album en fin d’année. Mais une très mauvaise nouvelle va bouleverser l’agenda professionnel du couple puisqu’on décèle un cancer à Jean-Pierre. Rose décide alors de tout arrêter pour prendre soin de son compagnon, et l’album enregistré sera jeté aux oubliettes.
Un tel témoignage d’amour à son mentor, Rose en avait déjà mis un en chanson sur la face B d’Où vont tous ceux qu’on aime : le superbe Tout pour lui, touchante déclaration. « Il vit dans un monde à lui, Différent et plus beau, Et c’est son amour qui me mène, Toujours plus haut, Toujours plus haut », chante-t-elle. Une vision du compagnon/artiste qui, dans son monde de création pure, se place aux yeux de sa muse au-dessus de la mêlée. Un thème qu’on ne peut pas ne pas rapprocher d’une autre chanson écrite par un artiste dont on sait Rose admirative : Michel Berger bien sûr, qui faisait chanter à France Gall Plus haut en 1980. Le clin d’œil, volontaire ou non, est troublant : « Plus haut, Celui que j’aime vit dans un monde, Plus beau », chantait France.
Citations extraites de l’interview de Rose Laurens par Jean-Marc D’angio parue dans le n°90 de Platine en avril 2002.
Voir la discographie détaillée d’Où vont tous ceux qu’on aime.
Interview de Renaud Hantson
Collaborateur musical et batteur sur le single Où vont tous ceux qu’on aime, Renaud Hantson a accepté de revenir pour nous sur sa rencontre et son travail avec Jean-Pierre Goussaud et Rose Laurens.
Amusé par les propos de Rose sur les circonstances de leur rencontre, Renaud Hantson en garde quant à lui un souvenir un peu différent : « En 1986 j’ai sorti un premier single qui s’appelait Ta voix sur le répondeur où la batterie était assez importante. Mon premier album sort en 1987 et tout ça vient aux oreilles de Jean-Pierre Goussaud, qui est devenu le mari de Rose. Ils se sont mariés en fait très rapidement après la sortie d’Où vont tous ceux qu’on aime. C’est lui qui m’a contacté en me disant : « J’aime beaucoup le son de tes réalisations, est-ce que ça te branche de travailler sur un nouveau titre de Rose Laurens ? » Et moi mon gros coup de cœur dans l’histoire ça a été, avant Rose, ma rencontre avec Jean-Pierre, parce que le mec était adorable et qu’il m’a donné les clefs. Il m’a dit : « Comment tu entends ce titre-là pour que ce soit moderne, comme ce que tu fais pour toi ? Je veux que Rose prenne un tournant pop-rock. Avec qui penses-tu qu’on peut le faire ? » Donc j’ai branché mon bassiste de l’époque, Serge Cortin, mon guitariste Frantz Fagot, qui co-réalise d’ailleurs toujours mes disques aujourd’hui. Et moi j’ai fait la batterie dans un studio où je savais qu’on pouvait obtenir ce genre de puissance au niveau des prises. C’était l’époque où Phil Collins régnait en maître au niveau des sons, avec Hugh Padgham, son ingénieur du son. J’étais très influencé par ça et c’est ce qui plaisait à Jean-Pierre. Il avait un gros home studio, il était hyper équipé, et je lui avais dit : « Mais ça sonne déjà super bien, tu peux le sortir comme ça ! », mais il ne voulait pas : « Non, non, je veux que ça rejoue avec des musiciens, j’en ai marre que les disques de Rose ne soient faits qu’avec des programmations ». Et j’ai rencontré Rose dans la foulée. Rose aimant faire des bouffes chez elle, elle avait ce petit côté France Gall, l’amitié est née comme ça. Mon équipe s’est retrouvée à faire des bouffes chez Jean-Pierre et Rose, parfois chez la mère de Rose qui était très importante pour eux. On est devenus aussi ses musiciens de scène pendant un an et demi. J’ai dû donner huit ou dix concerts avec Rose sur cette période où je n’avais pas décidé de rompre avec mon instrument. Tout en démarrant ma carrière solo, j’ai continué à accompagner quelques rares personnes, Rose en faisait partie, comme William Sheller ou le groupe Stocks. Donc j’ai amené mon équipe sur ce titre mais je me suis un peu effacé finalement car je trouvais que ce que faisait Jean-Pierre était déjà très abouti, on a juste rajouté notre son. »


À la sortie du single, Rose annonce la parution prochaine d’un nouvel album. « Pour l’album Jean-Pierre n’avait que cinq ou six chansons dans les tiroirs, il m’en a fait écouter quelques-unes. Je sais qu’il voulait qu’on bosse sur la suite mais il n’était pas ravi du travail de l’ingénieur du son que je lui avais proposé, et moi non plus en fait, je trouvais qu’il y avait beaucoup de réverb et ça n’était pas la direction que j’avais donnée quand j’avais arrangé plus ou moins le titre. C’était pas tout à fait ce truc un peu pop-rock et en même temps qui reste dans les racines variété de Rose Laurens. On voulait juste faire évoluer son son avec basse et batterie un peu plus prépondérantes. Ça ne sonnait pas comme les concerts qu’on a faits par la suite où c’était vraiment pop-rock, on amenait de la cogne, une énergie de trois mecs qui venaient du rock, mélangée à Jean-Pierre qui tenait à garder ses programmations. D’ailleurs je jouais de la batterie sur ses programmations, et c’est même moi qui l’ai poussé à les garder parce que ça sonnait bien et que c’était leur son, c’était le son qui a fait Africa, Cheyenne et des chansons que j’aimais bien. C’est ce que faisait Collins aussi, il jouait sur des programmations. Je pense avoir amené à Jean-Pierre ce qu’il recherchait, c’est-à-dire une évolution sonore. Je n’ai pas amené de chansons écrites par moi, la chanson était déjà écrite quand je suis arrivé. J’ai fait un très vague arrangement, et même pas, c’est une co-réalisation qu’on a faite. Je lui avais dit que ce serait bien qu’il y ait un orgue hammond sur le titre et il a engagé Sylvain Pauchard, ancien pianiste de Martin Circus, un super mec et grand déjanté.
Peu de temps après le début de leur collaboration, Jean-Pierre apprend qu’il est malade, mais le couple gardera un silence pudique autour de cette triste nouvelle. « On a été tenus totalement à l’écart de ça, on ne savait absolument pas. Jean-Pierre jusqu’au bout c’était le patron du truc et c’était notre pote. Et Rose c’était notre copine aussi, il fallait qu’on soit rigoureux pour elle. Jean-Pierre a été très important dans la carrière de Rose. J’ai compris lors du mariage qu’il y avait un truc derrière ça, derrière ce mariage dans l’urgence et en fait Jean-Pierre est parti dans les mois qui ont suivi. Et ça m’a fait beaucoup de peine mais j’étais un gamin et je n’ai pas su comment réagir. Il y avait une tendresse entre eux, ils étaient touchants. Et c’est vrai que je n’ai pas été très présent à la mort de Jean-Pierre. En fait le cordon s’est coupé à partir de là. On ne ramène pas les gens qui sont partis et on ne savait pas quoi faire. Moi et mes musiciens on a été présents une fois chez sa maman, et on sentait beaucoup de malheur. On lui a dit qu’elle pouvait compter sur nous, mais elle ne savait pas si elle allait continuer sa carrière alors que la mienne démarrait en parallèle. Et je n’ai pas su comment être présent. »

Renaud se souvient d’avoir revu Rose quelques années plus tard dans d’autres circonstances. « Je ne l’ai revue que sur un truc assez bizarre où François Valéry m’avait demandé de venir dans un studio, le ciné de Claude Lelouch, et en fait c’était une espèce de casting masqué. Rose était à côté de lui et je ne savais pas qu’elle était engagée pour interpréter l’un des personnages de sa comédie musicale L’Ombre d’un géant. Il voulait que je fasse le rôle-titre et moi je n’étais pas très chaud. Je lui avais donné un accord de principe parce que les titres étaient plutôt sympas, et en fait l’atmosphère dans cette salle de ciné était très spéciale, il y avait déjà dix chanteurs qui étaient passés avant moi et je lui ai dit que finalement je n’allais pas le faire. »
Le chanteur et musicien garde aujourd’hui encore un souvenir ému en repensant à Rose et Jean-Pierre : « Dans ma pièce de musique à la maison, j’ai toujours ce faire-part de mariage de Jean-Pierre et Rose et ça me met la larme à l’œil. Mais tout ça ce sont des supers souvenirs parce que mon rêve aurait été de pouvoir mener ma carrière solo et en même temps de pouvoir continuer à jouer pour des gens que j’aime bien, mais c’était compliqué de faire les deux. »
Propos recueillis le 30 mars 2022