Écris ta vie sur moi : le single écarté

En 1985, Rose Laurens est en train de préparer son troisième album. Elle souhaite faire appel à des auteurs qu’elle admire et, après Francis Cabrel qui lui a offert le texte de Quand tu pars, elle sollicite Yves Duteil, dont la délicatesse de la plume la touche énormément.

Elle pense en particulier à une musique composée par son compagnon Jean-Pierre Goussaud qu’elle fait parvenir à Yves Duteil qui, à l’instar de Cabrel, n’a pas tellement pour habitude d’écrire pour les autres. Mais inspiré tout autant par la chanteuse que par cette musique, il accepte instantanément. « Avec Yves Duteil, il y a eu un superbe feeling entre nous dès notre rencontre », se souviendra Rose. Ce sera le début d’une longue amitié…

« Viens graver ton chemin, Dans le creux de ma main, Je guiderai tes doigts », le texte que lui livre Yves Duteil est d’une beauté saisissante et se pose à merveille sur les arrangements très épurés (des nappes de synthé, un violoncelle) de cette ballade qui fermera l’album et lui donnera son titre : Écris ta vie sur moi.

Rose aime tellement la chanson qu’elle l’interprète lors de ses concerts à l’Olympia en octobre 1986 mais également à plusieurs reprises en télévision dès la fin de l’année. Le 14 janvier 1987, elle est invitée par Yves Duteil pour son Embarquement immédiat sur FR3 où elle chante Écris ta vie sur moi dans une superbe robe rouge avant qu’il ne la rejoigne pour un duo sur Mélancolie, sa chanson de 1979. C’est à nouveau ensemble qu’ils l’interprèteront le 20 septembre dans Le monde est à vous, un moment d’émotion où la complicité entre les deux artistes crève l’écran.

Après Quand tu pars et La Nuit, Écris ta vie sur moi est envisagé comme prochain extrait de l’album en 1987 et, à cette occasion, de nouvelles versions en sont réalisées. C’est en effet un tout autre arrangement avec une prise vocale différente qui doit sortir en 45 tours accompagné de remixes signés Jean-Luc Lemerre et réalisés au studio Polygone à Toulouse en janvier 1987. En tout quatre versions différentes (la version 45 t et sa version longue, le remix et sa version longue) sont prêtes à être gravées et un 45 tours test pressing est réalisé le 19 février 1987. Mais cette sortie est finalement annulée et c’est un titre inédit (Où vont tous ceux qu’on aime) qu’on trouvera finalement dans les bacs quelques semaines plus tard… La nouvelle version restera inédite jusqu’en 1996, année où les heureux acheteurs du Very Best of Rose Laurens édité par Arcade auront la surprise de découvrir cette version 45 tours qui y est incluse probablement par erreur, rien n’indiquant sur la pochette du disque qu’il s’agit de cette version inédite.

La chanson Écris ta vie sur moi n’a pourtant pas terminé son parcours et c’est une nouvelle vie qui lui est offerte en 1994 lorsque Yves Duteil décide d’inviter des interprètes féminines pour revisiter son répertoire sur l’album Entre elles et moi. Comme une évidence, Écris ta vie sur moi devient alors un duo sur un nouvel arrangement de Michel Précastelli et Yves Duteil écrit ces quelques mots dans le livret de l’album : « … une Rose épanouie mais tremblante d’émotion qui nous a tous laissés le souffle coupé après la toute première prise ». C’est ensemble qu’ils vont promouvoir cet album et interpréter Écris ta vie sur moi le 9 janvier 1995 dans Vincent à l’heure sur France 3, le 3 mars dans La Chance aux chansons et le 25 juin dans Le monde est à vous.

La même année, Rose prépare un nouvel album et l’on sait qu’elle prévoit de reprendre Écris ta vie sur moi en duo et en italien ! Une version dont on ignore aujourd’hui si elle a été enregistrée et avec qui…

Finalement, c’est en 2015 que la version 45 tours d’Écris ta vie sur moi, sa version longue et son instrumental font leur apparition sur un EP digital avant d’être incluses aux coffrets CD Collection volume 1 et volume 2 avec également les version remixées.
Voir la discographie détaillée d’Écris ta vie sur moi.

Interview d’Yves Duteil

En 1985 Rose Laurens cherche des auteurs pour son troisième album et elle va faire appel à vous. Comment vous est arrivée cette demande ? Vous connaissiez-vous déjà ou était-ce votre première rencontre ?

Il me semble que c’est arrivé comme ça, comme un message, comme une demande qui nous a touchés parce qu’en fait elle nous a envoyé la musique de Jean-Pierre Goussaud. On avait eu des contacts auparavant je crois, mais lorsqu’il s’agit d’une relation aussi intense on n’a pas forcément souvenir du tout premier contact. Mais en tout cas je me rappelle très bien que Rose m’a demandé sur cette musique de lui écrire une chanson d’amour « à tomber par terre ». Ce sont les mots qu’elle a utilisés.

Vous a-t-on proposé plusieurs musiques ou uniquement celle-là ?

C’était celle-là et ça nous a tout de suite parlé. Vous savez il y a quelque chose de très intuitif et d’instinctif dans le premier contact qu’on a avec une musique. Même si on ne sait pas du tout comment on va aborder le sujet, quels sont les mots qu’on va mettre sur la musique, il y a quelque chose qui se passe, tout de suite on sait qu’on va y arriver. C’est une ligne mélodique qui appelle des mots, on n’a pas encore trouvé lesquels mais on sait que ça va venir. Rose était une personne inspirante, très sensitive, intuitive, sentimentale, et avec une voix qui lui venait directement du cœur. Être le langage de cette voix, les mots de cette voix, c’est toujours plus facile quand on sait qu’après ça va être à la hauteur. On sait que tout ce qui va sortir à travers les mots que vous allez écrire va être transcendé.

Vous écrivez assez peu pour les autres, c’est la personnalité de Rose et cette musique qui ont fait que vous avez accepté ?

Tout à fait. Et en effet c’est rare que j’écrive pour d’autres. Je l’ai fait mais pas beaucoup. Il fallait qu’il y ait ce côté inspirant, mais je n’ai eu aucun doute sur le fait que j’allais y arriver. J’ai toujours eu le doute, la peur de la feuille blanche au début de ma carrière, mais à un moment donné je me suis interdit ce doute, je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison, que je n’allais pas lâcher jusqu’à ce que j’y arrive. C’est ce qui m’a permis d’aller dans des styles et des esprits différents, d’entrer dans l’univers de quelqu’un d’autre pour essayer d’exprimer ce que la personne a en réserve d’émotions plutôt que de parler de mon émotion à moi. En plus j’aime bien me projeter dans ce que j’ai de féminin.

Écrire pour une femme c’est différent ?

Pour un homme ce n’est pas évident. Je trouve que c’est très intéressant. D’ailleurs on est en plein dans le sujet aujourd’hui : le respect qu’on doit aux femmes en général, à la Femme en particulier, et à certaines femmes en plus, doublement, triplement, celles à qui on est relié par de l’émotion, par un respect particulier. Et en fait je n’ai jamais été piégé par le côté Africa de Rose. Chaque fois qu’on s’est rencontré pour partager un moment artistique, elle allait bien au-delà de ce succès-là. Et on trouvait un peu triste que sa carrière puisse se limiter à un succès comme ça, ça donnait envie d’élargir cet éventail de talent qu’elle a pu développer.

C’était une chanson qu’elle aimait beaucoup, qui donnera d’ailleurs son titre à l’album, et qui était même prévu en single avec des remixes en 1987, vous le saviez ?

Plus ou moins. Mais tout ça dépend de l’éditeur, du producteur, de la façon dont la promotion va être menée, on ne maîtrise pas du tout ça…

En 1987 vous faites deux émissions ensemble où vous chantez en duo votre chanson Mélancolie. Avez-vous envisagé de la chanter ensemble sur votre album Entre elles et moi en 1994 sur lequel vous enregistrerez finalement Écris ta vie sur moi en duo ?

Mélancolie on l’a enregistrée avec Véronique Sanson parce qu’elle avait très envie de chanter Le Mur de la prison d’en face qui avait déjà été prise par Véronique Rivière. Donc avec Véronique Sanson on a cherché une autre chanson et le choix s’est porté sur Mélancolie. C’était je crois l’un des tout premiers albums de duos. On a l’impression dans ce métier que les gens qui font des duos ensemble sont des amis mais ça n’est souvent pas vrai. Ce sont souvent les productions qui mettent des noms ensemble et puis les gens se rencontrent et font quelque chose. Avec Rose c’était complètement différent, c’est comme avec Véronique Sanson, c’est une véritable amitié qui s’est traduite artistiquement. Il se passait vraiment quelque chose, une complicité, une connivence, quelque chose de fraternel.

Avez-vous déjà pensé à inclure cette chanson à votre tour de chant ?

Non parce que c’est une chanson de femme donc je ne pouvais pas la chanter tout seul. « Mets tes mots sur mes lèvres, Et ta main sur mon cœur, Écris ta vie sur moi », c’est quelque chose de très féminin, je ne peux pas me dire que je vais mettre ça au masculin.

On a retrouvé dans les archives de Rose une cassette avec le titre Combien faudra-t-il d’enfants ? Aviez-vous des projets avec Rose ?

Je me rappelle de cette chanson. Peut-être qu’on a eu l’idée de l’enregistrer ensemble, je ne sais absolument plus. Mais en tout cas je me souviens de la chanson elle-même. Je ne sais même pas si cette chanson est sortie, je ne crois pas. Mais si vous l’avez retrouvée dans les archives de Rose c’est sûrement parce qu’on en a parlé.

Vous a-t-elle sollicité pour écrire d’autres textes ?

Non parce qu’après Jean-Pierre est tombé malade. Il a perdu sa maman, il ne s’en est jamais remis, et c’est là qu’il est tombé malade. Et Rose s’est occupée de Jean-Pierre. Elle a pris un aiguillage différent parce qu’elle était plus tournée vers Jean-Pierre que vers sa carrière à elle. Et quand il est décédé ça a été un tel drame dans sa vie que forcément il y a beaucoup de choses qui n’ont pas eu de suite.

Elle vous invite à venir chanter Écris ta vie sur moi avec elle lors de son dernier concert au Cabaret sauvage en 2016.

J’étais en tournée à ce moment-là et je n’ai pas pu. J’ai regretté bien évidemment. Ça aurait été un très très grand bonheur de partager ça avec elle. C’était comme une renaissance, on était content de voir qu’elle reprenait le fil de sa carrière et qu’elle essayait de relancer quelque chose d’assez grand. Pour nous Rose était une grande artiste, une artiste majeure qui a eu la malchance que Jean-Pierre tombe malade parce que ça a brisé son élan. Ça l’a affectée comme on peut l’être quand on est amoureuse d’un homme qui est en train de lâcher prise de chagrin. Rose avait perdu le velours de son printemps. On a continué à échanger régulièrement mais elle n’a jamais pu retrouver le fil de cette force qui était en elle pour revenir. En plus c’est difficile de revenir quand tout le monde vous demande Africa… Et elle avait beaucoup plus que ça en elle, elle avait un potentiel extraordinaire et c’était une amie très chère. On a eu toujours beaucoup d’émotion à échanger avec elle, à la revoir. Ça a été vraiment une relation toute simple et en même temps très profonde et très authentique. Malheureusement aujourd’hui ne reste que le souvenir de cette belle relation et toute l’affection qu’on a eu pour Rose. C’était une femme et une artiste extraordinaire et elle n’a pas eu le temps de développer cette envergure qu’elle avait en elle.

Propos recueillis le 27 juin 2022.