
Survivre
Après quelques années de tâtonnements et d’hésitations sous le pseudonyme de Rose Merryl, notre jeune chanteuse renaît à l’aube des années 1980 et signe un contrat avec une nouvelle maison de disques, la Warner, sous le label Atlantic en 1979. Toujours accompagnée de son compagnon et compositeur Jean-Pierre Goussaud, Rose enregistre de nouvelles chansons parmi la vingtaine concoctées sur mesure avec le parolier Gilles de Loonois. Elle commence à se sentir plus à l’aise avec ce répertoire qui lui correspond mieux et prend désormais le nom de Rose Laurens, du prénom de son frère Laurent, qui sera cette fois définitif. Rose a un coup de cœur pour Survivre, une maquette sur laquelle chante Jean-Pierre, et elle entre au studio des Dames pour enregistrer cette incitation à la résistance face à nos petits soucis du quotidien qui lui permet de mettre en avant ses capacités vocales. Pour l’anecdote, il existe un texte en italien, où Survivre devient La Vita, signé par Daiano. Rose a-t-elle enregistré la chanson dans la langue de Dante ? Nous le découvrirons peut-être un jour…
Pour la face B, enregistrée au studio Gang le 9 mars 1979, on opte pour Ballade autour d’un café viennois, une superbe chanson où, toujours sous la plume de Gilles de Loonois, Rose, la pudique, laisse échapper quelques éléments biographiques. Varsovie fait bien évidemment référence à son père qui est né là-bas, quant à la ligne Saint-Lazare / Vernon, elle la connaît bien car les parents de Jean-Pierre Goussaud résident dans ce coin de la vallée de la Seine tout proche de la région parisienne (tout comme, d’ailleurs, le beau-frère de Gilles de Loonois). La petite fille à la robe à fleurs c’est Rose elle-même bien sûr, qui s’imagine rejoindre son père, disparu tragiquement. D’autres références personnelles seront gommées du texte qui fut remanié par la chanteuse.
Les deux chansons sont réalisées par Jean-Pierre Goussaud et Jean-Pierre Bourtayre et le 45 tours est dans les bacs des disquaires à l’automne 1979. Sur la pochette signée Jean-Louis Urli (photographe de presse chez l’agence Gamma), Rose apparaît sensuelle et glamour, coiffée d’un carré long et frisé. Les programmateurs radio commencent à repérer la jeune chanteuse et Stéphane Collaro, qui diffuse régulièrement le titre sur Europe 1, lance une annonce en disant que si quelqu’un connaît Rose Laurens, il souhaite l’inviter dans son émission télé. C’est ainsi que la chanteuse fait sa première promo sur le petit écran avec Survivre dans le Collaro Show du 1er décembre. Suivront quelques jours plus tard, le 6 janvier 1980, Les Rendez-vous du dimanche animés par Michel Drucker. C’est lors de cette première rencontre que va naître entre la chanteuse et le présentateur une complicité et une amitié qui perdureront au fil des années. Il lui conseille d’ailleurs de s’imposer avec son propre répertoire alors qu’on voulait lui faire interpréter une reprise lors de cette même émission. Un conseil avisé qui ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde.


En parallèle, Ballade autour d’un café viennois fait aussi son propre chemin. Il est probable que la maison de disques ait hésité à mettre la chanson en face A du 45 tours car un acetate monoface est pressé avec uniquement ce titre. Ballade est le coup de cœur de Gérard Klein, alors animateur sur Europe 1, qui diffuse la chanson tous les matins pendant un mois. Il invite même Rose et la complimente sur sa voix, « reflet de son talent ». Le 8 janvier, elle est sur Antenne 2 dans Passez donc me voir où elle choisit cette fois d’interpréter cette chanson.
Les retours pour ce premier disque sont très positifs et Survivre va même se classer dans les hit-parades d’Europe 1 et de RTL à partir du mois de janvier. La presse n’est pas en reste et se fait l’écho du 45 tours, notant « la voix admirable » et « particulière » de la chanteuse, et la comparant à celle de Julien Clerc.
Rose, qui a les pieds sur terre, dira dans ses premières interviews qu’elle a « la force et la volonté de gravir les échelons de cette carrière qui est plus que jamais d’un accès difficile », et que « les jeunes de la chanson ont deux fois plus de difficultés à percer aujourd’hui qu’hier ».
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À deux
Rose Laurens commence à se faire un nom, et c’est ainsi qu’elle est contactée par le réalisateur Roger Coggio qui aime sa voix et qui lui propose d’interpréter la chanson de son prochain film, C’est encore loin l’Amérique ?, sur les écrans français le 9 janvier 1980. Il se trouve que cette chanson, À deux, qui plaît beaucoup à Rose, est écrite par Claude Lemesle et composée par Mort Shuman. Ce dernier est un ami, qu’elle a rencontré à l’époque de Rose Merryl par l’intermédiaire des paroliers Etienne Roda-Gil et Boris Bergman. Shuman a beaucoup d’affection pour la chanteuse à qui il avait promis d’écrire une chanson car il adore sa voix. C’est donc chose faite avec À deux, jolie ballade qui clôture le film, qu’elle enregistre le 22 novembre 1979 au studio Marcadet et qui sort en 45 tours en fin d’année. Mais pâtissant d’une promotion inexistante et des mauvais résultats commerciaux du film, la chanson passe pratiquement inaperçue. Rose en garde toutefois un souvenir joyeux : « Je me souviens que j’étais allée à la projection du film avant de retourner ensuite le revoir en salle. À la fin du film, quand la chanson est passée au générique, j’ai été émue car les gens n’ont pas bougé comme ils le font d’habitude. Ils écoutaient la chanson. Et il y en a qui ont même applaudi après, alors que personne dans la salle ne savait que c’était moi qui chantais la chanson, car j’étais vraiment inconnue ».
À deux restera la seule et unique incursion de Rose Laurens dans le domaine du cinéma.


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J’vous aime les oiseaux
Rose enchaîne sur un nouveau 45 tours en ce début d’année 1980 qui va s’avérer très intense. Elle entre au studio Sam Sound en mars pour enregistrer J’vous aime les oiseaux et Homme fragile, deux compositions de Jean-Pierre Goussaud avec cette fois Pierre Grosz aux textes. La première est une ode à l’amitié et la seconde un joli portrait de l’homme aimé, du sur mesure selon la chanteuse.
La pochette sur fond bleu est du photographe Patrick Soubiran qui travaillait pour le magazine Salut ! et qui a aussi réalisé les pochettes de disques de Francis Cabrel, Patrick Juvet, Jean-Luc Lahaye, Johnny Hallyday, Jeanne Mas ou Daniel Balavoine. Rose y pose décontractée, cheveux longs légèrement ondulés, avec une mini vague sur le devant.


En télévision, Rose est tout d’abord invitée des Nouveaux Rendez-vous du dimanche de Michel Drucker le 22 juin où elle interprète sa nouvelle chanson devant des images d’oiseaux en vol projetées derrière elle. Le 13 juillet, dans Dimanche et fête, elle est accompagnée de son frère Laurent qui l’abrite sous un parapluie à cause des mauvaises conditions météorologiques qui n’empêchent pas Rose de chanter en direct. Enfin, le 27 août pour l’émission Avis de recherche en compagnie de Michèle Torr sur TF1, c’est une Rose toute bronzée, pétillante et visiblement très en forme qui chante une fois de plus en direct. Les yeux légèrement maquillés, vêtue d’un débardeur blanc, d’un pantalon fuchsia avec une ceinture blanche brillante, elle reçoit les compliments de Michèle Torr ainsi que de Patrick Sabatier qui anime l’émission.
Quant à Homme fragile, elle ne sera interprétée à la télévision qu’une seule fois, en direct le 28 septembre 1981 dans Les Couleurs de la vie sur TF1.
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L’Air de la misère / J’avais rêvé d’une autre vie
« Tout a vraiment commencé pour moi avec l’audition que j’ai passée avec Robert Hossein qui a hurlé au bout de cinq minutes : « C’est elle ! Ce sera Fantine ! » Moi, j’étais pétrifiée. Et là, ma vie d’artiste a commencé, car j’ai été choisie parmi 1 500 candidates sans être au courant de l’ampleur de cette audition. Je me souviens juste que je voulais à tout prix avoir ce rôle, que je voulais absolument travailler avec Robert Hossein et que je voulais vraiment faire une comédie musicale. Et je suis allée à l’audition en me disant : « Personne d’autre que moi n’aura ce rôle ! » À peine arrivée, je suis tombée sur 400 nanas qui attendaient. Là, je me suis mise à douter. »
En cette année 1980, les auteurs Alain Boublil et Jean-Marc Natel et le compositeur Claude-Michel Schönberg ont décidé d’adapter Les Misérables, monumentale œuvre de Victor Hugo, en comédie musicale, et c’est à Robert Hossein qu’est confié le soin de la mise en scène dont la première aura lieu le 17 septembre au Palais des Sports de Paris.
Lors de son audition, Robert Hossein et Jean Serge (responsable de la branche Spectacles et Promotion d’Europe 1) tombent littéralement sous le charme de Rose Laurens qui décroche donc le rôle de Fantine, la mère de la petite Cosette. Le destin tragique du personnage ne lui permettra d’apparaître qu’au début du spectacle mais avec deux solos d’exception : L’Air de la misère et J’avais rêvé d’une autre vie, probablement les deux morceaux les plus emblématiques du spectacle, qui seront d’ailleurs choisis pour en lancer la promotion. Le double album studio du spectacle (qui réunit, entre autres, Michel Sardou, Michel Delpech, Mireille ou Salvatore Adamo) est enregistré entre janvier et avril, et en mai trois 45 tours promo sont envoyés aux radios avec plusieurs extraits et notamment J’avais rêvé d’une autre vie. Le 27 avril, une séquence de l’enregistrement de l’album au studio Davout est diffusée dans Les Rendez-vous du dimanche de Michel Drucker sur TF1.





À la rentrée, quelques jours avant la première, la promotion se met en branle et ce sont les deux chansons interprétées par Rose qui sont choisies pour une sortie en 45 tours, avec une photo d’Alain Marouani sur laquelle Rose apparaît cheveux longs ondulés. Pour l’occasion, le mixage de L’Air de la misère est légèrement modifié (de la réverb est ajoutée et les instruments sont plus présents). Naturellement invitée à plusieurs reprises sur Europe 1, Rose reçoit les compliments de Jean-Pierre Elkabbach mais également de Pierre Bellemare, charmé par sa voix.
Le 13 septembre, Samedi et demi sur Antenne 2 consacre un reportage aux répétitions des Misérables et Rose interprète L’Air de la misère. Puis c’est au tour du Grand échiquier de Jacques Chancel le 25 septembre, dont l’invité d’honneur est Charles Aznavour, et où Rose est en direct pour interpréter sa chanson. Elle sort en fait tout juste de scène, enfourche une moto escortée par des gendarmes pour arriver au plus vite au studio des Buttes-Chaumont, à l’autre bout de Paris, où l’émission est enregistrée. Vêtue d’un costume noir Ted Lapidus, d’une chemise blanche et d’un nœud papillon, elle est accompagnée de l’orchestre des Concerts Colonne et de Claude-Michel Schönberg au piano. Aznavour, lui aussi, complimentera la chanteuse en coulisse.
Rose est ensuite le 20 octobre dans D’hier et d’aujourd’hui (où elle chante aussi J’avais rêvé d’une autre vie), le 23 octobre dans l’Avis de recherche de Marie-Paule Belle, dans Top Club le 1er novembre, Passez donc me voir le 4 décembre, Midi première le 18 décembre, puis dans La Grande Roue en Suisse le 21 janvier 1981.
Aventure importante dans la carrière de Rose, nous reviendrons de façon plus approfondie sur Les Misérables dans une future chronique.
En 1986, suite au succès de la version anglaise des Misérables lancée à Londres à la rentrée 1985, la chanteuse Frances Ruffelle, interprète du rôle d’Éponine, est de passage en France pour l’émission Champs-Élysées du 29 mars. Elle y interprète en direct On My Own (adaptation de L’Air de la misère, réattribué à Éponine) et est rejointe par Rose qui chante un refrain en français avant de terminer la chanson en anglais avec Frances.
Le 7 décembre 2014, lors de l’émission Cabaret « 42e Rue » : la fête à Claude-Michel Schönberg sur France Musique, Rose interprète en direct J’avais rêvé d’une autre vie. Schönberg dira : « Qu’à travers le monde, il y en a eu beaucoup de Fantine, mais aucune, même si elles ont essayé, n’ont égalé la Fantine originale qu’a été Rose ».
Le 14 janvier 2016, lors de son dernier concert au Cabaret Sauvage à Paris, Rose donne à son public une interprétation émouvante de J’avais rêvé d’une autre vie.
Rose gardera au fil des années une amitié et une complicité avec son metteur en scène, Robert Hossein. En 1983 il lui dira : « Je voudrais vous dire que votre personnalité est étonnante et semblable à celle d’Isabelle Adjani. N’acceptez jamais de chanter ou de jouer quelque chose que vous ne ressentez pas. C’est vital pour votre personnalité. Votre tempérament vous permet de refuser des choses ».
Voir la discographie de L’Air de la misère.
Pas facile
Le 8 février 1981, Rose enregistre son dernier 45 tours pour Warner aux studios Ferber à Paris. Écrits par Gilles de Loonois, composés par Jean-Pierre Goussaud qui signe également les arrangements avec Gabriel Yared et la réalisation avec Jean-Pierre Bourtayre, les titres Pas facile et Artiste font l’objet d’un test pressing le 26 mars avant leur commercialisation. Sur la photo qu’on doit à Alain Marouani, Rose se présente avec une veste de cuir marron, chemise blanche et cravate.
Il se dégage de ces deux chansons une tonalité plus pop-rock mais, rétrospectivement, la chanteuse reniera plus ou moins ce 45 tours. « J’avoue que j’ai presque regretté ce disque, non pas que les chansons n’étaient pas belles, mais… bon. Quelques fois, nous les artistes, on débloque un peu, et on fait des chansons de nos états d’âmes, de nos angoisses. Et c’est pas toujours bien, quoi. Le seul atout de ce disque est Gabriel Yared qui a vraiment beaucoup travaillé. Comme il adorait ma voix, il ne nous a pas quittés. Il était 24 h sur 24 avec nous. Pourtant, à l’époque, il disait déjà non à plein de gens, mais je ne me rendais pas vraiment compte de ma chance. »


Il y aura très peu de promotion autour de ce disque dont seule la face B, Artiste, sera interprétée en direct le 28 septembre dans Les Couleurs de la vie sur TF1, émission présentée par Jean Bertho qui ne tarit pas d’éloges à l’égard de la chanteuse, allant même jusqu’à la troubler.
La période Warner va se refermer en demi-teinte et la jeune chanteuse, probablement déçue du peu d’intérêt et d’investissement de sa maison de disques, va rompre son contrat. Mais elle sera de retour dès l’année suivante avec un univers musical bien différent et un nouveau label…
Voir la discographie de Pas facile.
Citations extraites de l’interview de Rose Laurens par Jean-Marc D’angio parue dans le n°89 de Platine en mars 2002.