Mamy Yoko : un hit au parfum d’encens

Le 25 mai 1983, Rose Laurens se voit remettre un disque de platine récompensant les ventes colossales de sa chanson Africa en France lors d’un petit déjeuner de presse organisé pour elle par sa maison de disques Flarenasch à la Tour Eiffel. Par la même occasion, elle présente aux journalistes son tout nouveau single, Mamy Yoko. Étonnamment, il ne s’agit pas d’un extrait de son premier album Déraisonnable paru il n’y a encore que quelques mois, mais d’une chanson inédite. En effet, Africa faisait figure d’exception dans un album qui n’était pas calibré pour les dance floor et Alain Puglia, PDG de Flarenasch, réclame à Rose et à son équipe une suite à Africa, « un petit frère ou une petite sœur »… S’il est vrai que l’idée n’est pas forcément du goût de la chanteuse et de son compagnon et compositeur Jean-Pierre Goussaud, l’équipe se met toutefois au travail, sans doute par loyauté envers cette jeune maison de disques qui a cru en eux en les signant moins d’un an plus tôt et qui a fait d’Africa un immense succès. L’idée est de faire danser à nouveau, et puisque les contrées lointaines les fascinent et les font rêver, la sensualité de l’Afrique va faire place aux mystères de l’Asie.

Le texte de Mamy Yoko, qu’on doit au parolier Jean-Michel Bériat, est né des longues conversations qui rythment les soirées de Rose, Jean-Pierre et leurs paroliers et amis Marc Strawzynski et Jean-Michel Bériat. Au détour d’une conversation, Rose évoque sa grand-mère, puis quelqu’un se met à parler du Japon. « Et c’est ainsi que nous avons imaginé Mamy Yoko. Nous la voyions très vieille, ridée, mais elle était pleine de vie, elle faisait des tas de choses marrantes et mignonnes. Tout cela dans un climat de tendresse, d’humour et de rythme », dira la chanteuse à la presse. Le texte, même s’il joue avec des clichés faciles, n’est pourtant pas si léger et, contrairement à Africa, est empreint d’une certaine gravité, notamment lorsqu’il fait allusion à la pauvreté à laquelle la pauvre Mamy Yoko est confrontée. Mais comme pour Africa, la chanson évoque surtout la fascination d’un ailleurs inconnu et fantasmé.

Suite à ce petit-déjeuner de présentation à la presse, les médias ne se priveront pas de souligner l’analogie entre Africa et Mamy Yoko, avec plus ou moins de véhémence. Libération, par exemple, n’est pas tendre dans son papier du 1er juin : « Les gaillards ont trouvé la combine pour le jackpot : une voix à disposition, un look adaptable et un pays à clichés. Ils ont encore quelques mois pour trouver une rime avec kangourou », peut-on lire. Philippe Manoeuvre, lui, tire à boulet rouge sur la chanson, copie conforme du précédent titre selon lui.

Pourtant, si à l’écoute de l’introduction de la maquette de Mamy Yoko (voir coffret Collection volume 1) la ressemblance est évidente, la version définitive gravée sur disque s’en éloigne sensiblement. Lorsqu’on interpelle la chanteuse sur la gémellité des deux chansons, elle se défend : « La ligne mélodique n’est pas la même, il est évident que ce sont des chansons de la même veine, de la même famille, mais prétendre qu’il s’agit de deux chansons pratiquement identiques est faux. Après Africa il nous fallait une suite dans le même esprit, je crois que Mamy Yoko concrétise bien cette suite, le public ne se pose pas tant de questions, il est réceptif ou non à telle ou telle chanson, voilà toute ma vérité. »

Le test pressing du 45 tours Mamy Yoko est daté du 24 mai 1983 et Rose en démarre la promotion un mois plus tard, au moment même où Africa quitte le top 20 des ventes de singles en France. Elle est l’invitée le 25 juin de La Maison de TF1 où Line Renaud et Enrico Macias ne tarissent pas d’éloges sur la chanteuse. Le 27, on peut la voir dans Atout cœur sur la même chaîne avant que la promo télé ne reprennent à la rentrée. En effet, Rose a un été chargé puisqu’elle démarre en juin la tournée Podium Europe 1 et sillonne la France en compagnie tout d’abord de Gérard Lenorman, puis de Thierry Le Luron à partir de juillet. Ce dernier vient tous les soirs frapper à la porte de la loge de Rose (avec son chien qui porte un collier en diamants) pour l’embrasser et l’encourager. À la même époque, Rose fréquente également Dalida, pour qui Jean-Pierre Goussaud et Jean-Michel Bériat viennent de signer trois titres. Les deux chanteuses fréquentent le même coiffeur, le même couturier (Jean-Claude Jitrois) et le même restaurant italien à Montmartre.

Tournée Europe 1

Mamy Yoko sort en 45 tours et maxi 45 tours (avec une version longue) avec la très belle ballade inédite T’envole pas sans moi en face B et des photos de Didier Buriez pour illustrer ces supports. Un 45 tours spécial en édition limitée se dépliant pour offrir un poster recto verso est également commercialisé. Entre la promotion française et étrangère et sa tournée d’été, Rose a également trouvé le temps d’enregistrer Mamy Yoko en anglais sur un texte d’Elaine Stive qui avait déjà adapté Africa. Si son texte n’évite pas, lui aussi, certains clichés « japonisants », on lui trouve cependant une profondeur et une poésie qui manquaient un peu à la version française. Elaine Stive s’applique à jouer, tout comme la version française, avec les références nippones mais livre un texte plus spirituel sans en estomper la noirceur (Mamy Yoko a perdu son enfant, les atrocités d’Hiroshima sont évoquées…).

En plus de Mamy Yoko, c’est tout un album en anglais que Rose enregistre en 1983 et sur lequel on trouve majoritairement des adaptations de chansons du premier album, mais également du deuxième que les Français ne découvriront qu’en décembre 1983. Suite au succès d’Africa en Allemagne, l’album en anglais entrera dans les charts allemands le 22 août 1983, il y restera classé neuf semaines et grimpera jusqu’à la 32e place. Il fera encore mieux en Norvège en décrochant une 11e place ! En France, les radios font bon accueil à Mamy Yoko qui intègre les palmarès dès fin juin et se classe 5e sur Europe 1, 9e sur RTL et 14e sur RMC. Il faut cependant attendre la rentrée et la reprise de la promo en télévision pour que le single ne fasse son entrée dans le top 20 des ventes. Un vidéo clip sans prétention est tourné pour la version française de la chanson avec l’aide des studios télé de RTL. Il est diffusé en exclusivité le 13 novembre lors de l’émission Escale consacrée à Annie Cordy.

Rose assure en parallèle la promotion à l’étranger et elle se produit en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse, au Royaume-Uni et en Allemagne où elle participe notamment à la fameuse émission Musikladen le 8 septembre. Mamy Yoko vient en effet de faire son entrée dans les charts allemands et se classe 37e en octobre. À l’étranger, Mamy Yoko (parfois renommé My Mamy Yoko sur certains pressages) propose Misunderstanding (adaptation de Déraisonnable) en face B du 45 tours, et Magic and Music sur le maxi (qu’on découvrira plus tard en français sous le titre Magique et Musique dans une version un peu plus courte). Au Québec, c’est un support original qui est proposé, et l’on trouve en effet sur un vinyle et une cassette reprenant le visuel de Mamy Yoko, le contenu des maxis français d’Africa et de Mamy Yoko (soit quatre titres).

Le 13 septembre, c’est la naissance du fan-club international de Rose Laurens dont on a déjà pu découvrir l’adresse postale sur les supports de Mamy Yoko. Rose écrit une première lettre pour ses admirateurs et un premier bulletin est édité.

Malgré les critiques, et sans égaler les scores d’Africa, Mamy Yoko devient un succès populaire qui va s’écouler en France à plus de 200 000 exemplaires.

Pour l’anecdote, c’est depuis cette chanson que la maman de Rose est surnommée par ses proches Mamy Yoko, et c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.
Voir la discographie détaillée de Mamy Yoko et Mamy Yoko (version anglaise).